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Arrête ou je continue (2014)
Pomme et Pierre.
Ils sont ensemble depuis longtemps. Trop longtemps ?
Ils sont pris dans cette combine qu’est devenu leur couple, ce discret désastre, pris dans ce numéro qui se joue presque malgré eux.
"Arrête ou je continue" l’un comme l’autre pourrait le dire.
Ils ont l’habitude de longues marches en forêt. Au cours de l’une d’elle, Pomme refuse de rentrer. Non. Juste non. Qu’il lui file le kway, qu’il lui file le pull, qu’il lui file le sac, elle reste…
Elle disparaît dans les taillis. Sans fracas…Crotique Pierre Morice - Télérama:
Du non-sens très parlant, des situations blessantes, de l'euphorie délirante : un jour, on mesurera le rôle moteur, malgré sa discrétion, de Sophie Fillières dans la comédie « intello » de ce début du xxie siècle. Car elle fut bien l'une des premières (avec Aïe) à renouveler le genre, de manière très originale, un canif à la main. Cette sagacité incisive, on la retrouve dans cette histoire de couple désaccordé. Quelque chose ne fonctionne plus comme avant entre Pierre (Mathieu Amalric) et Pomme (Emmanuelle Devos). Des prénoms signifiants, comme dans toute fable. Lui est devenu dur, cassant, monolithique. Elle, plus fragile, ne demande sans doute qu'à se laisser glisser. Ils ne cessent de se disputer pour un rien, veulent systématiquement avoir le dernier mot. Bref, le manège infernal qu'induit tout ménage de longue date. A la sauce Fillières, agrémentée de dialogues très écrits, c'est particulièrement savoureux.
Comment rompre — avec la routine, avec l'autre, avec soi —, telle est la question. Compliquée s'il en est, car ces deux-là, malgré leurs guéguerres, vivent en bonne intelligence, partagent un humour et une complicité très anciens. A défaut de savoir avec certitude s'ils s'aiment toujours, ils jouent à s'aimer. Cela peut donner d'excellents résultats, comme en témoigne leur numéro de duettistes dans la cuisine : les deux se déclarent froidement leur flamme, avant de fêter leur réconciliation provisoire en suçant des glaçons de champagne truffés de bouts de verre (la bouteille s'étant brisée au fond du congélo !). Le récit fourmille d'idées, de situations totalement saugrenues, et pourtant si vraies, sur l'agacement mutuel, le rapport de force violent, au quotidien, lorsque tout chez l'autre devient source de crispation permanente. De là les sautes d'humeur, les bizarreries (ce moment hilarant où Pomme prend soudain du sucre dans son café !) et les escapades qui composent ce film zigzagant, paré d'un titre idoine. Avec un Mathieu Amalric sous tension, au bord du pétage de plombs, le visage grimaçant, déformé par le sarcasme ou les larmes, on ne sait trop. Et une Emmanuelle Devos plus composite, changeante, touchante, dans le faux-semblant comme dans la vérité.
Car arrive le moment où Pomme se retrouve esseulée et déboussolée, au fond du trou, littéralement. Cela se passe dans la forêt, à la suite d'une randonnée qui a mal tourné avec son homme. La réalisatrice y exploite les vertus à la fois enchanteresses et inquiétantes du lieu pour filmer un rite de passage. Les prises de bec, le flux incessant de paroles sont, alors, mis entre parenthèses. Un grand silence se pose et s'impose. Qui mène à une métamorphose synonyme d'apaisement. Une forme de libération fluide, non dénuée d'émotion, pour le coup totalement inédite dans le cinéma de Fillières. Ça se fête, non ? — Jacques Morice
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