• Les dieux du carnage

    Les dieux du carnage

    A l’école, Ferdinand attaque Bruno à coups de bâton. Les parents se rencontrent pour régler le litige dans l’appartement du blessé. Au tout début, urbains, bienveillants, conciliants, ils tentent de tenir un discours commun de tolérance et d’excuse qui s’envenime peu à peu. Entre Alain Reille, avocat sans scrupule qui répond sans cesse à son portable tout en défendant une vision du monde à la John Wayne, Véronique Houillé à la morale citoyenne qui écrit un livre sur le Darfour, son mari Michel qui vient d’abandonner le hamster de sa fille dans le caniveau et Annette Reille qui se met à vomir, c’est la débandade, le chacun pour soi, le conflit ouvert, la catastrophe qui s’annonce…
    A partir d’un petit fait du quotidien chez des quadras bourgeois (l’univers de Art et de Trois versions de la vie), Yasmina Reza évoque avec jubilation, férocité et tendresse aussi tous les paradoxes de la condition humaine : l’égoïsme et la générosité, la responsabilité et l’indifférence, la politesse et la brutalité, le futile et le grave, tout le dérisoire des grandes déclarations qui s’effondrent à la moindre anicroche.

    --> Adapté au cinéma en 2011, j'avais gardé un souvenir savoureux d'un huit clos tout en tension... ce fut un plaisir de trouver le texte par l'auteure d'Art. L'occasion de refaire les scènes pour soi, de s'éloigner de l'image et s'approprier encore mieux les situations.

    Alain: Madame, notre fils est un sauvage. Espérer de lui une contrition spontanée est irréel. Bon, je suis désolé, je dois retourner au cabinet. Annette, tu restes, vous me raconterez ce que vous avez décidé, de toute façon je ne sers à rien. La femme pense il faut l'homme, il faut le père, comme si cela servait à quelque chose. L'homme est un paquet qu'on traîne donc il est décalé et maladroit, ah vous voyez un bout du métro aérien, c'est marrant! p.30

    VÉRONIQUE. Annette, gardons notre calme. Michel et moi nous efforçons d’être conciliants, et modérés...
    ANNETTE. Pas si modérés.
    VÉRONIQUE. Ah bon ? Pourquoi ?
    ANNETTE. Modérés en surface.
    ALAIN. Toutou, il faut vraiment que j’y aille.
    ANNETTE. Sois lâche, cas-y.
    ALAIN. Annette, en ce moment je risque mon plus gros client, alors ces pinailleries de parents responsables...
    VÉRONIQUE. Mon fils a perdu deux dents. Deux incisives.
    ALAIN. Oui, oui, on va finir par le savoir.
    VÉRONIQUE. Dont une définitivement.
    ALAIN. Il en aura d’autres, on va lui en mettre d’autres ! Des mieux ! On lui a pas crevé le tympan !
    ANNETTE. Nous avons tort de ne pas considérer l’origine du problème.
    VÉRONIQUE. Il n’y a pas d’origine. Il y a un enfant de onze ans qui frappe. Avec un bâton.
    ALAIN. Armé d’un bâton.
    MICHEL. Nous avons retiré ce mot.
    ALAIN. Vous l’avez retiré parce que nous avons émis une objection.
    MICHEL. Nous l’avons retiré sans discuter.
    ALAIN. Un mot qui exclut délibérément l’erreur, la maladresse, qui exclut l’enfance.
    VÉRONIQUE. Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter ce ton.
    ALAIN. Nous avons du mal à nous accorder vous et moi, depuis le début.
    VÉRONIQUE. Monsieur, il n’y a rien de plus odieux que de s’entendre reprocher ce qu’on a soi-même considéré comme une erreur. Le mot « armé » ne convenait pas, nous l’avons changé. Cependant, si on s’en tient à la stricte définition du mot, son usage n’est pas abusif.
    ANNETTE. Ferdinand s’est fait insulter et il a réagi. Si on m’attaque, je me défends surtout si je suis seule face à une bande.
    MICHEL. Ça vous a requinquée de dégobiller.
    ANNETTE. Vous mesurez la grossièreté de cette phrase.
    MICHEL. Nous sommes des gens de bonne volonté. Tous les quatre, j’en suis sûr. Pourquoi se laisser déborder par des irritations, des crispations inutiles ?
    VÉRONIQUE. Oh Michel, ça suffit ! Cessons de vouloir temporiser. Puisque nous sommes modérés en surface, ne le soyons plus !
    MICHEL. Non, non, je refuse de me laisser entraîner sur cette pente.
    ALAIN. Quelle pente ?
    MICHEL. La pente lamentable où ces deux petits cons nous ont mis ! Voila !
    (pp. 43-45)

     

     

    Film Carnage, réalisé par Roman Polanski en 2011 avec Jodie Foster


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