• Nous autres

    Nous autres

    de Eugène Zamiatine

    Présentation de l'éditeur

    "... On nous attacha sur des tables pour nous faire subir la Grande Opération. Le lendemain, je me rendis chez le Bienfaiteur et lui racontai tout ce que je savais sur les ennemis du bonheur. Je ne comprends pas pourquoi cela m'avait paru si difficile auparavant. Ce ne peut être qu'à cause de ma maladie, à cause de mon âme. "
    Ainsi parle D-503, un homme des siècles futurs. Il vit dans une société qui impose fermement l'Harmonie sous la direction du guide. Or D-503 qui participe activement à l'expansion de cette organisation à l'échelle interplanétaire en arrive à l'autocritique, à la dénonciation, au rééquilibrage psychique.
    C'est en 1920 qu le Soviétique Eugène Zamiatine a conçu cette politique-fiction. Il y aborde, pour la première fois, les mécanismes de l'Utopie au niveau existentiel. Jusque-là, tous les organisateurs de sociétés futurs, sous la bannière de Platon et de saint Thomas More, se contentaient d'une description monomaniaque de leurs structures. Zamiatine introduit l'homme vivant dans ces souricières. La porte poussée, Aldous Huxley et George Orwell vont s'engouffrer dans le corridor.
    Quel extraordinaire prophète que ce Zamiatine, écrivain, mathématicien et ingénieur. Il y a soixante ans, la dissidence n'était pas encore une maladie mentale traitée à l'halopéridol. Le règne du père génial de tous les peuples, Staline, et de ses épigones n'avaient pas commencé. Et les pieux des camps de rééducation n'étaient pas encore systématiquement plantés. Pourtant, le ver était dans le fruit, et même à cette époque pas encore totalement occultée, l'ouvrage ne fut pas publié.
    L'oracle Zamiatine scrutant les brumes de l'Histoire de demain pousse un hurlement solitaire. Lui-même, en nos temps de surdité, condamné au silence et à l'exil, étouffé par l'angoisse, mourra à Paris, en 1937, à l'âge de 53 ans.

    --> Un monde régit par les mathématiques appliquées à toutes les théories humanistes, un constructeur de vaisseaux, dans un monde "parfaitement aseptisé", totalement contrôlé, jusqu'aux sentiments, évidemment.
    D-503 rencontre I-330 et nous sommes témoins de cette rencontre par les notes (journal) rédigés par D-503 chaque jour, pendant ses Heures Personnelles. Le tout sous la surveillance du "Bienfaiteur". L'amour n'a pas de mots, sauf la maladie. D-503 va être soigné : il n'y a pas de place pour l'imagination non plus dans la vie de D.
    Dans nous autres, les hommes vivent dans des immeubles transparents. Ils n'en tirent les rideaux que pour utiliser les coupons roses quui leur permettent une rencontre avec une personne de l'autre sexe. Le jour du vote de l'unanimité, on se rend aux urnes pour le même vote. D. en tombant malade fréquentera "la maison antique": sorte de musée des temps anciens.
    J'ai regretté la froideur du personnage, qui "malade" reste dénué d'envie de changer le monde.
    Les métaphores sont nombreuses et parfois répétitives; ce fut pour moi une lecture fastidieuse, heureusement intéressante car ce roman précède d'autres nombreux romans de science- fiction / dystopie où bonheur et liberté sont antinomiques.

    Citations:

    - "Je l'aime, cette vieille, dit I en montant un escalier large et sombre.
    Pourquoi?
    Je ne sais pas. Peut-être à cause de sa bouche, peut-être pour rien, comme ça, tout simplement."
    Je levai les épaules. Elle continua en souriant à peine, peut-être sans sourire du tout:
    "Je me sens bien coupable. Il est clair qu'on ne doit pas aimer "tout simplement, comme ça", mais "à cause de quelque chose". Tous les élements doivent être...
    "C'est clair", commençai-je, mais je m'aperçus tout de suite que j'avais laissé échapper ce mot et je jetai un regard sur ma compagne pour savoir si elle l'avait remarqué ou non.
    Elle regardait le plancher, ses paupières étaient baissées comme des rideaux.
    (page 37, note 6)

    - La construction de l'Intégral sera achevée dans 120 jours. Une grande date historique est proche : celle où le premier Intégral prendra son vol dans les espaces infinis. Il y a mille ans que nos héroïques ancêtres ont réduit toute la sphère terrestre au pouvoir de l'Etat Unique, un exploit plus glorieux encore nous attend : l'intégration des immensités de l'univers par l'Intégral, formidable appareil électrique en verre et crachant le feu. Il nous appartient de soumettre au joug bienfaisant de la raison tous les êtres inconnus, habitants d'autres planètes, qui se trouvent peut-être encore à l'état sauvage de la liberté. S'ils ne comprennent pas que nous leur apportons le bonheur mathématique et exact, notre devoir est de les forcer à être heureux. Mais avant toutes autres armes, nous emploierons celle du Verbe.
    Au nom du Bienfaiteur, ce qui suit est annoncé aux numéros de l'Etat Unique :
    Tous ceux qui s'en sentent capables sont tenus de composer des traités, des poèmes, des proclamations, des manifestes, des odes, etc... pour célébrer les beautés et la grandeur de l'Etat Unique.
    Ce sera la première charge que transportera l'Intégral.
    Vive l'Etat Unique. Vive les numéros. Vive le Bienfaiteur !
    (Note 1, page 15)

    Une âme? Quel mot étrange et depuis longtemps oublié!
    "C'est...très grave? balbutiai-je.
    - Incurable, tranchèrent les ciseaux.
    - Mais, en somme, en quoi cela consiste-t-il? Je ne me rends pas bien compte...
    - Commet vous expliquer... vous êtes mathématicien?.
    - Supposez une siurface plane, ce miroir par exemple. Nous clignons des yeux pour éviter le soleil qui s'y réfléchit. Vous y apercevez également la lumière d'un tube électrique; tenez, l'ombre d'un avion vient d'y passer. Tout cela ne reste qu'une seconde dans le miroir. Maintenant, supposez que par le feu on amolisse cette surface impénétrable et que les choses ne glissent plus, mais s'incrustent profondément dans ce miroiur, derrière lequel, étant enfants, nous cherchions si souvent avec curiosité ce qu'il pouvait y avoir. Cette surface aurait engendré un volume, un corps, un monde. Nous avons en nous un miroir sur lequel glissent le soleil, le tourbillon de l'avion, vos lèvres tremblantes et les lèvres d'un autre aussi.... Ce miroir froid réfléchit, renvoie, tandis que le vôtre, maintenant, garde trace de tout et à jamais. Vous avez vu un beau jour une légère ride sur la figure de quelqu'un - vous l'avez toujours en vous; vous avez entendu quelque part une goutte d'eau tomberdans le silence, vous l'entendez encore maintenant...
    - Oui, c'est justement ça", dis-je en le saisissant par la main. J'entendais dans le silence des gouttes d'eau tomber lentement du robinet du lavabo, et savais que ce serait pour toujours. "Mais pourquoi ai-je eu tout à coup une âme...Je n'en avais pas et puis, brusquement...Pourquoi personne n'en a--t-il, et moi..."
    - oui
    (Note 16, page 81)



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