• Broadway

    "Du paddle à Biarritz. Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d'amis n'apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c'était l'idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j'arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l'effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu'il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j'avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s'étaient vus confirmées : on me proposait d'aller ramer debout sur une planche en caleçon de bain avec des gens, et je me suis aussitôt vu, le dos courbé sur un paddle qui n'avançait pas, voire reculait, transpirant et rougeaud, le visage grimaçant de douleur et d'effort, tentant de rattraper à vingt mètres devant moi Denis et ses pectoraux fermes et tendus sous le vent océanique."

    Une femme et deux enfants, un emploi, une maison dans un lotissement où s'organisent des barbecues sympas comme tout et la perspective du paddle à Biarritz avec un couple d'amis l'été prochain... Axel pourrait être heureux, mais fait le constat, à 46 ans, que rien ne ressemble jamais à ce qu'on avait espéré. Il s'était rêvé scintillant et emporté dans une comédie musicale à la Broadway, il se retrouve dans un spectacle de fin d'année foireux. Et s'il était temps pour Axel de tout quitter, de partir dès ce soir à Buenos Aires, au lieu de rentrer du travail et malgré l'apéro chez les voisins ?

    Après "Le Discours", Fabrice Caro confirme son talent unique pour mêler scènes désopilantes et mélancolie existentielle.

    --> J'ai parcouru ce livre avec le sourire aux lèvres. Prenez un shaker d'écriture et placez-y tout d'abord un homme de 46 ans torturé par une somme d'idées mélancoliques, ajoutez chacune de ces idées: un voisin qui semble passer son temps à ramasser des feuilles en attendant le prochain apéritif, des cierges allumés dans une église en aide à sa propre fille, du paddle en vacances à Biarritz avec Denis, un spectacle de fin d'année: Broadway dans une comédie musicale, un dessin délictueux de son fils Tristan, un texto envoyé à son chef Verdier... et surtout une enveloppe bleue contenant un courrier de la CPAM pour une campagne de détection du cancer colorectal. Fabrice Caro remue régulièrement le shaker et chaque chapitre fait réapparaître 2, 3, 4 de ces ingrédients dont le narrateur ne peut se défaire. Cela donne un roman drôle, chacun des sujets revenant sur le devant de la scène à des moment impromptus :c'est cocasse à la limite de l'absurde et ça nous réveille. Une lecture idéale en cette période morose. Merci à Blandine 5674 dont la critique m'a fait remonter ce livre dans ma pile! Elle a évité qu'il ne sombre dans ma pile des livres oubliés parce que je n'ai pas le temps de lire tout ce que je voudrais....

     

    - Je sors de la voiture et nous nous saluons chaleureusement, l’éclat de nos sourires inversement proportionnel à notre degré d’intimité, nous maintenons notre main en l’air un temps anormalement long afin de bien nous signifier que notre relation de voisinage est sans faille et que, quoi qu’il arrive, maladie, accident, agression, cambrioleur qui veut se baigner, examen colorectal, nous pourrons toujours compter l’un sur l’autre.

    - Au-dessus de sa tête, au mur, se trouvent une reproduction d'un tableau de Paul Klee et une photo de chalet en Haute-Savoie et je trouve la juxtaposition pour le moins hasardeuse, un peu comme une table de restaurant où se côtoieraient un pavé de veau sauce cardamome et du céleri-rave dans une assiette en carton. p.10

    - Alors que je me gare dans l'allée, mon voisin, monsieur Boyer, est en train de ramasser des feuilles. Il ramasse des feuilles toute l'année. A l'automne d'accord, mais comment fait-il pour ramasser des feuilles les autres mois de l'année ? Je le soupçonne de se faire livrer des feuilles mortes pour pouvoir les ramasser et trouver ainsi un sens à sa retraite - voire à sa vie.

    - Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d'amis n'apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c'était l'idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j'arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l'effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu'il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j'avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s'étaient vus confirmées: on me proposait d'aller ramer debout sur une planche en caleçon de bain avec des gens, et je me suis aussitôt vu, le dos courbé sur un paddle qui n'avançait pas, voire reculait, transpirant et rougeaud, le visage grimaçant de douleur et d'effort, tentant de rattraper à vingt mètres devant moi Denis et ses pectoraux fermes et tendus sous le vent océanique.

    - Ce devait être la toute première lettre m'étant adressée personnellement et j'avais cru alors que le courrier serait toujours synonyme de cœur qui bat, de ventre qui vibre, de fragments d'extases et de ciels sans fin.
    Trente ans plus tard, ellipse, je tiens dans ma main une enveloppe plastifiée bleue au bas de laquelle est inscrit: Programme national de dépistage du cancer colorectal.

    - (...) ma grand-mère me disait souvent Pleure, tu pisseras moins, et je me demande si l'inverse marche aussi, Pisse, tu pleureras moins. p.28

    - Elle tient dans ses bras un bébé, il se dégage une infinie douceur de cette statue, le regard que je suppose être sa mère est d’une tendresse palpable, elle ignore encore que quatorze ans plus tard, il dessine des levrettes.

    - C'est juste un apéritif entre voisins. Juste et apéritifs entre voisins dissonent, un oxymore géant, un couple mal assorti, Paul Klee en Haute-Savoie. C'est juste une guerre nucléaire. C'est juste un cancer en phase terminale. Juste ne s'accorde pas avec tout. Et je devine au salut interminable de monsieur Boyer et à son sourire que nous approchons dangereusement de la date butoir. p.44

    - ’entre dans la Biocoop et lance un bonjour que je veux bio, et je me demande ce que j’entends par là. Mais mon bonjour doit être suffisamment bio car les gens me répondent aimablement dans un concert feutré de bonjours bienveillants et là, subitement, on a beaucoup de mal à croire au déclin de l’Occident. p.119

    - J'ai envoyé mon message à Verdier. J'ai envoyé à Verdier "pas mal l'enveloppe colorectale" suivi d'un émoticône clin d’œil. Voilà ce que je découvre en entrant dans ma voiture et en consultant mon portable. C'est un cauchemar. Comment ais je pu me tromper de destinataire? Si, je sais, bien sûr, j'ai anormalement paniqué à l'arrivée d'Anna et mes doigts ont ripé, la proximité alphabétique avec Vincent , l'alcool qui n'a rien arrangé et voilà. comment va t- il interpréter un tel message?De manière générale, comment peut on interpréter "pas mal l'enveloppe colorectale" suivi d'un émoticône clin d’œil? J'essaie de me mettre à la place du destinataire, et une multitude d'hypothèses se bousculent, et celle qui m'apparaît la plus immédiate, pour peu qu'on reste sur une lecture basique et superficielle, serait: Quel joli cul, suivi d'un émoticône clin d’œil? Je viens de dire purement et simplement à Verdier qu'il a un joli cul.

    - Mon regard se perd sur le décolleté de Béatrice, je me demande chaque fois si ses seins sont refaits ou pas (Anna est persuadée que non, moi que oui). Que se passerait-il si, subitement, au milieu du repas, au beau milieu de la discussion, je tendais le bras et touchais le haut décolleté de son sein du bout de mon index pour en vérifier la fermeté? Comme ça, de manière totalement anecdotique? Quelle serait leur réaction? Denis se lèverait-il pour me mettre son poing dans la figure ou bien le repas se poursuivrait-il comme si de rien n’était? Pourquoi nous évertuons-nous à n’effectuer que des actes pourvus de sens? Pourquoi une existence qui n’en a aucun devrait-elle être constituée d’une suite ordonnée de faits rationnels, et pourquoi ne nous mettrions-nous pas subitement à courir dans la rue sur Modern Love comme chez Leos Carax ou Noah Baumbach? Pourquoi tout doit-il être cohérent quand la vie elle-même ne l’est pas pour deux sous et qu’on peut très bien se réveiller un matin avec un courrier destiné à un type de cinquante ans alors qu‘on n’en a que quarante-six? Pourquoi l’utile, pourquoi l’approprié? p. 125

    - La vieille dame est toujours là, exactement à la même place, immobile et je commence à me demander s'il s'agit d'une vraie dame ou si l'Église, devant la catastrophique désertion de ses ouailles, ne place pas des mannequins de cire pour sauver la face. p.158


  • Commentaires

    1
    Isa
    Mardi 3 Novembre 2020 à 21:39
    C'est gagné ! Tu m'as donné envie
    2
    Samedi 7 Novembre 2020 à 14:30

    Chouette, tu me diras...

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