• Les passeurs de livres de Daraya

    Les passeurs de livres de Daraya

    ...une bibiliothèque secrète en Syrie

    de Delphine Minoui

    De 2012 à 2016, la banlieue rebelle de Daraya a subi un siège implacable imposé par Damas. Quatre années de descente aux enfers, rythmées par les bombardements au baril d’explosifs, les attaques au gaz chimique, la soumission par la faim. Face à la violence du régime de Bachar al-Assad, une quarantaine de jeunes révolutionnaires syriens a fait le pari insolite d’exhumer des milliers d’ouvrages ensevelis sous les ruines pour les rassembler dans une bibliothèque clandestine, calfeutrée dans un sous-sol de la ville.

    Leur résistance par les livres est une allégorie : celle du refus absolu de toute forme de domination politique ou religieuse. Elle incarne cette troisième voix, entre Damas et Daech, née des manifestations pacifiques du début du soulèvement anti-Assad de 2011, que la guerre menace aujourd'hui d'étouffer. Ce récit, fruit d'une correspondance menée par Skype entre une journaliste française et ces activistes insoumis, est un hymne à la liberté individuelle, à la tolérance et au pouvoir de la littérature.

    Citations:

    Il n'existe pas de prison qui puisse enfermer la parole libre ;
    il n'existe pas de blocus assez solide pour empêcher l'information de circuler.

     

    Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive.

     

    Sur la couverture, noire de poussière, ses ongles crissent, comme le son d'un instrument de musique. Le titre est en anglais, ça parle de connaissance de soi, un ouvrage de psychologie sans doute. Ahmad tourne la première page, déchiffre les quelques mots familiers de cette langue étrangère qu'il parle mal. Qu'importe le sujet, en fait. Il tremble. Tout en lui se met à vaciller. Cette sensation troublante d'ouvrir les portes du savoir. De s'échapper, un instant, de la routine du conflit. De sauver un petit bout, même infime,  des archives du pays. De sa faufiler à travers les pages comme on fuit vers l'inconnu.

     

    En une semaine, ils sauvent six mille ouvrages. Un exploit ! Un mois plus tard, la récolte atteint les quinze mille exemplaires. Des petits, des grands, des cabossés, des écornés, des illisibles, des très rares, des très recherchés. Il faut désormais trouver un lieu pour les stocker. Les protéger. Préserver cette petite miette du patrimoine syrien avant qu’il ne parte en fumée. Après une concertation générale, un projet de bibliothèque publique voit le jour. Sous Assad, Daraya n’en a jamais eu. Ce serait donc la première. « Le symbole d’une ville insoumise, où l’on bâtit quelque chose quand tout s’effondre autour de nous », précise Ahmad. Il s’interrompt, pensif avant de prononcer cette phrase que je n’oublierai jamais :

    - Notre révolution s’est faite pour construire, pas pour détruire.

    Par crainte des représailles, ce musée de papier serait maintenu au plus grand secret. Il n’aurait ni nom, ni enseigne. Un espace souterrain, à l’abri des radars et des obus, où se retrouveraient petits et grands lecteurs. La lecture comme refuge. Une page ouverte sur le monde lorsque toutes les portes sont cadenassées.

     

    Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit.

     

    Les livres, leurs armes d'instruction massive.

     

    Comme les cailloux du Petit Poucet, un livre mène à un autre livre. On trébuche, on avance, on s'arrête, on reprend. On apprend. Chaque livre dit il, renferme une histoire, une vie, un secret.

     

    En fait, le simple acte de lire lui est d'un immense réconfort. Une sensation découverte dès la création de la bibliothèque. Il aime flâner entre les pages. Feuilleter sans fin. Se perdre entre les points et les virgules. Naviguer sur des territoires inconnus.

     

    Je suis curieuse de savoir à quel moment exactement les livres ont commencé à avoir une importance capitale dans sa vie. Etait-ce à l'inauguration de la bibliothèque ? A la lecture d'un passage particulier ?
    - C'est quand j'ai compris que la guerre pouvait durer des années. Quand j'ai réalisé que nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes.
    A partir de là, les livres allaient remplacer l'université qu'il n'avaient plus : il lui fallait s'éduquer par lui-même. Combler le vide dont pourraient justement profiter les fanatiques pour imposer leurs idées rétrogrades.
    - Les livres ont rapidement eu un impact crucial : ils m'ont aidé à ne pas me perdre.
    Et c'est ainsi qu'Omar s'est mis à dévorer tout ce qui lui tombe sous la main.

     

     

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :