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Le choeur des femmes
De Martin Winckler
Jean Atwood, interne des hôpitaux et quatre fois major de promotion, vise un poste de chef de clinique en chirurgie gynécologique. Mais au lieu de lui attribuer le poste convoité, on l'envoie passer son dernier semestre d'internat dans un service de médecine consacré à la médecine des femmes - avortement, contraception, violences conjugales, maternité des adolescentes, accompagnement des cancers gynécologiques en phase terminale.
Le Docteur Atwood veut faire de la chirurgie, et non passer son temps à écouter des femmes parler d'elles-mêmes à longueur de journée. Ni servir un chef de service à la personnalité controversée. Car le mystérieux Docteur Karma - surnommé «Barbe-Bleue» - séduit sans vergogne, paraît-il, patientes et infirmières et maltraite sans pitié, dit-on, les internes placés sous ses ordres. Pour Jean Atwood, interne à la forte personnalité et qui brûle d'exercer son métier dans un environnement prestigieux, le conflit ouvert avec ce chef de service autoritaire semble inévitable.
Mais la réalité n'est jamais ce que l'on anticipe, et la rencontre entre les deux médecins ne va pas se dérouler comme l'interne l'imagine.
Le Chœur des femmes est un roman de formation : il raconte l'histoire d'un jeune médecin déjà modelé par la faculté et par sa spécialité d'élection et qui doit brusquement réviser ses préjugés devant une réalité qui lui avait échappé jusqu'ici : ce ne sont pas ses maîtres qui lui apprendront son métier, mais les patientes.
C'est un roman documentaire qui décrit la médecine des femmes, ses gestes, ses particularités, ses écueils, ses interrogations éthiques, comme aucun roman, ne l'a fait à ce jour, du moins en langue française.
C'est un roman choral (comme son nom l'indique) dont la structure s'inspire de celle de la comédie musicale : au fil de son itinéraire (un récitatif à la première personne) dans ce microcosme qu'est l'unité 77, le Docteur Atwood croise des femmes qui racontent (et parfois chantent) leur vie.--> Le médecin nous fait entrer dans les intimités des femmes. Dans son cabinet de gynécologie, l'examen laisse la place à la parole qui guérit les maux. Des mots entendus, écoutés, à lire: ils balaient les jugements.
Citations:
- Je suis juste... une pute. Une pute de quatorze ans. Pourquoi ? Pouvez pas comprendre... Et si je vous le dis vous préviendrez les flics et là... Non, j'ai rien fait de mal. Enfin, si. Enfin, non. Moi, je voulais pas. J'ai jamais voulu. Mais je n'avais pas le choix. Quand ça a commencé, je ne comprenais pas ce qu'il faisait. J'avais dix ans. Je l'aimais bien. Il avait toujours été gentil avec moi. Il avait toujours vécu seul, et forcément, il était tout le temps fourré à la maison, parce que ma mère l'aime beaucoup, c'est normal, c'est son petit frère, son petit chéri, ils ont grandi ensemble, quand ils étaient gamins c'était vraiment pas marrant et toute petite déjà elle s'occupait de lui, alors elle a continué et pour nous c'était naturel qu'il soit toujours là (...) Et toutes petites, il nous gardait souvent ma soeur et moi quand mes parents sortaient avec des amis. Lui, il était gentil, il nous faisait à manger, il nous lisait des histoires. Alors la première fois... la première fois qu'il est venu dans ma chambre... (...)
Ca a duré longtemps. Quatre ans. Presque un tiers de ma vie quand j'y pense.
Il me disait qu'il ne fallait pas que j'en parle à ma mère, mais il n'avait pas besoin de me le dire. Je n'aurais pas pu lui en parler. J'avais trop peur qu'elle me traite encore de pute. Qu'elle me dise que j'étais une salope d'accuser ainsi son petit frère, son petit chéri, qu'elle élevait déjà quand elle était petite fille.
(p. 94-96)- Aujourd'hui, pourtant, lorsqu'elles sont enceintes ou ne désirent pas l'être, lorsqu'elle veulent pratiquer un dépistage du cancer du col ou faire soigner un symptôme gynécologique, les femmes sont encore systématiquement contraintes de s'allonger sur le dos, cuisses écartées, sexe exposé, dans une position humiliante imposée par les médecins sans aucune nécessité médicale.
La posture dite "à l'anglaise" (sur le côté, ou "en décubitus latéral") permet tous les gestes gynécologiques courants ; elle permet également de procéder à des accouchements en toute sécurité, si la femme le désire ; dans de nombreux pays du monde, c'est dans cette position que les femmes sont examinées, soignées ou accouchées. Et dans cette même position, elles peuvent choisir de voir, ou non, ce que les médecins leur font.
Nous exigeons que les médecins français proposent à toutes leurs patientes d'adopter, si elles le désirent, le décubitus latéral, en lieu et place de la position gynécologique machiste et archaïque qui leur est encore imposée en ce début de XXIe siècle.
(p. 458-459)
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